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[Webinaire] D’où viennent nos légumes ? La journée d’information SNHF partie 3/4

Partie 3 : Les légumes originaires d’Asie.
Webinaire

Programme

  • L’aubergine, par Marie-Christine Daunay
  • L’ail, l’échalote et l’oignon, par Jacky Brechet
  • La carotte, par Emmanuel Geoffriau

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L’aubergine, par Marie-Christine Daunay

L’ail, l’échalote et l’oignon, par Jacky Brechet

La carotte, par Emmanuel Geoffriau

Les intervenants

Origine et diversification

L’aubergine (Solanum melongena L.) est originaire du sud-est asiatique. Ce sont les civilisations anciennes d’Inde et de Chine qui ont, successivement ou peu ou prou concomitamment, procédé aux premières sélections et mises en culture de types moins épineux, produisant de plus gros fruits, moins amers, de formes variées (de rond à très long), et de coloration diversifiée (blanc, vert, plus ou moins anthocyané, uniforme ou bigarrée).

Bien que la domestication de l’espèce soit donc ancienne, on trouve encore des formes sauvages (plutôt pseudo-sauvages, ou spontanées) dans l’arc géographique qui court du Pakistan aux Philippines, essentiellement à proximité des champs et des villages.  Comme l’aubergine est un légume commun très cultivé et consommé en Asie, ces formes « sauvages » coexistent à proximité des variétés cultivées, et du fait d’une morphologie florale favorisant l’allogamie, s’intercroisent spontanément avec elles. Ces flux de gènes naturels ont abouti à une « pollution » du compartiment sauvage, observable en particulier de l’Inde à l’ancienne Indochine, où les formes spontanées présentent parfois, dans une grande variété de nombres et de combinaisons, des caractères domestiqués.

D’autre part, si les préférences des populations locales ont à la fois créé au fil des siècles des variétés cumulant des caractères domestiqués (spinosité réduite, gros fruits solitaires, de formes et couleurs diversifiées, faiblement amers), elles ont aussi créé des variétés locales combinant diversement caractères domestiqués et caractères sauvages (comme une très forte spinosité, et/ou des inflorescences à fleurs multiples, et/ou des fruits sphériques, de très petit calibre – inférieur à 2-3 cm –, et/ou de couleur verte réticulée). Les marchés de légumes thaïlandais sont très illustratifs de l’absence de frontière claire entre les deux compartiments, « sauvage » et cultivé, de l’aubergine. Dans ce pays, les villageois établissent, parmi les plantes d’aubergine poussant spontanément dans leur environnement immédiat, une distinction étonnante entre celles qu’ils considèrent comme « sauvages » et qu’ils détruisent parfois (à petits fruits ronds, verti-réticulés, ternes, très amers, et souples sous la dent), et celles qu’ils récoltent à l’occasion, dont les fruits ont un aspect un peu moins terne, sont peu amers et croquent sous la dent.

Statut botanique des formes sauvages

Après des controverses sur le statut taxonomique des formes sauvages, il est actuellement admis qu’elles méritent, pour plusieurs raisons, d’appartenir à l’espèce Solanum insanum L. et d’être distinguées de l’aubergine cultivée, Solanum melongena L.  Leur régime « naturel » (libre) de reproduction, très distinct de celui des variétés cultivées actuellement (sélectionnées par l’Homme dans un régime de reproduction totalement artificiel et contraint), est le principal argument en faveur de ce statut.

Voyages de l’aubergine

Les traces textuelles les plus anciennes de l’aubergine sont chinoises et indiennes. Remontant au tournant de l’avènement de l’ère chrétienne, elles relatent l’usage à la fois médicinal et alimentaire de l’espèce, et mettent souvent aussi en garde contre ses effets néfastes sur la santé. Poésie, dictionnaires, traités médicaux-botaniques et agronomiques ultérieurs, permettent ensuite de suivre les voyages de l’aubergine vers l’est (elle aurait atteint le Japon au VIIIe siècle apr. J.-C.), et vers l’ouest. Sur ce long trajet, son arrivée au Moyen-Orient n’est pas encore documentée précisément à ce jour, du fait de la difficulté d’identification, d’accès (et de compréhension) des sources anciennes locales. L’espèce n’était connue ni des Grecs ni des Romains, alors qu’ils firent des incursions et conquêtes à l’est de la Méditerranée. L’aubergine est mentionnée dans certains ouvrages médicaux perses tardifs, comme ceux des érudits Rhazès (865-925) et Avicenne (980-1037), mais on peut supputer que l’aubergine atteignit le Moyen-Orient plus tôt que les IXe ou Xe siècles, à une période située entre la scission de l’empire romain à la fin du IVe siècle et l’hégire (570-632).

En effet, la suite des voyages de l’aubergine vers l’Afrique et l’Europe est liée au fulgurant expansionnisme arabe, par terre et mer, entre les VIIe et VIIIe siècles. Dès le VIIIe siècle, l’espèce est mentionnée en Éthiopie où de nombreux termes linguistiques la décrivent. Son premier signalement en Europe du Sud se trouve dans un abrégé de médecine rédigé vers 850 apr. J.-C. à Cordoue (Andalousie) par Abd al-Malik ibn Habib où elle est mentionnée par son nom arabe badhinjan. Au XIIe siècle, en Andalousie, le médecin Averroes et l’agronome Ibn Al Awam la décrivent comme un légume commun et apprécié dans le sud de l’Espagne. En Italie, à la même période, l’aubergine est décrite dans le Circa instans (De simplici Medicina ou livre des simples médecines) de Matthaeus Platearius (11..-1161). Ce médecin de l’école de Salerne compila en un seul traité tous les savoirs et traditions médicaux et thérapeutiques grecs, arabes et de Salerne. Comme les érudits perses, Platearius mentionne les dangers sanitaires de l’aubergine, tout comme ses vertus médicinales ou alimentaires moyennant des précautions d’emploi qu’il détaille. En Europe septentrionale, un peu plus tard, Albertus Magnus (v. 1200-1280), philosophe, théologien et scientifique germain, mentionne l’aubergine dans son De Vegetabilibus.

Représentations graphiques de l’aubergine en Europe

Les premières illustrations (colorées !) européennes d’aubergine se trouvent dans de nombreux herbiers illustrés à partir de la fin des années 1200, début des années 1300, et dérivés des compilations textuelles antérieures. Leurs dessins colorés sont botaniquement peu précis, mais ils nous donnent l’opportunité de voir les aubergines de l’époque, avec leurs fruits ronds ou ovoïdes, blancs, mauves ou plus foncés. Les plus belles illustrations d’aubergine se trouvent dans des manuscrits tardifs, connus sous le nom de Tacuinum Sanitatis ou Tables de Santé. Ces ouvrages, illustrés de miniatures magnifiques, dérivés du traité médical Taqwim al-sihha bi al-ashab al-sitta (renforcer la santé par six causes) du médecin bagdadi Ibn Butlan (XIe siècle), ont été composés entre 1380 et 1450 pour des familles aristocratiques du nord de l’Italie.

Le réalisme des représentations d’aubergine (et de toutes les plantes) sera cependant nettement amélioré dans les herbiers peints de Leonhardt Fuchs (1543) et de Georg Oellinger (1553), respectivement médecin et apothicaire. L’invention de l’imprimerie (v. 1455) permettra la création et une large diffusion des herbiers imprimés, dont le texte sera illustré de gravures sur bois qui, pour l’aubergine, reprendront souvent le dessin de Fuchs avec des petits fruits. Les premiers fruits longs sont représentés dans le Historiae Generalis Plantarum de Dalechamps (1586). À partir du XVIe siècle, les supports sur lesquels des aubergines sont représentées deviendront de plus en plus des œuvres de valeur artistique, beaux livres, fresques peintes, bas-reliefs, tableaux et vélins. À partir de la fin du XVIIIe siècle, de nouveaux types de représentation graphique apparaissent avec les premiers catalogues de semences, comme ceux de Vilmorin, qui révèlent brutalement la présence en France d’une diversité de tailles, formes et couleurs de fruits invisible jusque-là, mais sans doute déjà introduite via l’intensification des échanges commerciaux au fil des siècles et la curiosité européenne pour toutes les nouveautés exotiques.

Représentations graphiques de l’aubergine en Asie

Les plus anciens dessins datent des XIe et XIIe siècles et représentent des fruits sphériques. On peut supposer qu’ils sont blancs en l’absence de remplissage des formes. Le premier dessin coloré (dans le Lüchanyan Bencao, 1220 – Dynastie Song du sud) représente une couleur de fruit absente du matériel européen de la même époque : le calice est violet foncé, tout comme l’épiderme du fruit, sauf à la lisière du calice où l’épiderme est presque blanc. Ce dernier caractère, contrôlé par un gène récessif, est caractéristique du matériel d’Extrême-Orient. Cette couleur particulière est également représentée sur un écran pliable coréen du XVIe siècle. Les estampes de l’époque Edo (1603-1868) ou plus tardives apportent les représentations les plus stylisées de l’aubergine, y associant souvent le faucon et le mont Fuji, en illustration du proverbe japonais selon lequel le plus heureux présage pour la nouvelle année est un rêve associant le Mount Fuji, le faucon et l’aubergine.

L’aubergine aujourd’hui

La sélection sur des bases scientifiques, à partir d’hybridations dirigées pour des objectifs d’amélioration précis, commencera vraiment au XXe siècle, avec les premiers hybrides F1 créés au Japon avant 1935. En France, les premiers hybrides d’aubergine seront créés par l’Inra au début des années 1970, avec F1 Bonica (globuleuse pourpre) et F1 Baluroi (demi-longue pourpre) et cette structure génétique s’est rapidement généralisée, en France et ailleurs, dans la gamme des variétés cultivées. En Europe de l’Ouest, la sélection se concentre sur les formes intermédiaires, la fermeté de la chair, l’absence de graines, la couleur très noire et brillante de l’épiderme du fruit, l’absence d’épines sur la plante et le calice, et l’adaptation à la culture intensive, notamment sous abris et sur de longs cycles de culture, contre-saison comprise. En Asie, les objectifs de sélection sont plus diversifiés, du fait de types variétaux très divers selon les pays, et du fait de l’existence de résistances génétiques à quelques maladies tropicales.

Marie-Christine Daunay

Après une première formation à l’ENITH d’Angers (Ecole nationale des ingénieurs des techniques horticoles, 1974-1977), puis un diplôme d’Etudes approfondies (DEA, 1982) suivi d’une thèse de doctorat (1986) soutenus à l’Université d’Aix Marseille, Marie-Christine Daunay a fait carrière à l’INRAe, Unité de Génétique et Amélioration des plantes de Montfavet (Vaucluse) en tant qu’ingénieur d’étude puis de recherche jusqu’en 2021. Ses domaines de prédilection ont été la sélection, la diversité génétique, les espèces apparentées ainsi que la domestication et l’histoire des solanacées, avec une approche plus particulière sur l’aubergine. Elle a animé plusieurs réseaux de gestion des ressources génétiques des solanacées, en France et en Europe.

  • Partir de la forme sauvage dans les centres d’origine
  • Décrire les introductions jusqu’en Europe au cours du temps
  • Décrire les points forts de la domestication et de la sélection (aspects technique et/ou méthodes) 

L’ail, l’oignon et l’échalote

Ces trois légumes à vocation essentiellement condimentaire sont classés dans les Alliums alimentaires.

Ce genre Allium comprend un très grand nombre de plantes, plus de 700 espèces, parmi lesquelles ces trois-là prennent une place notable dans l’alimentation humaine.

La taxonomie n’est pas définitivement arrêtée dans ce genre, comme on le verra d’ailleurs dans certains exemples évoqués.

On présentera tout d’abord quelques généralités propres à ces trois espèces, avant de situer leur origine historique et leur domestication, ce qui a conduit aux produits que nous consommons actuellement. Les méthodes actuelles de sélection seront précisées.

  1. Quelques chiffres pour situer l’importance alimentaire de ces trois espèces en France

– L’ail, c’est 18 000 tonnes de production/an en France (10 fois moins que l’Espagne). On exporte vers l’UE 10 000 t/an mais on importe (d’Espagne, Chine et Argentine) 28 000 t/an. Au final, 36 000 t sont consommées annuellement dans notre pays.

– L’oignon, dont près de 600 000 t sont produites en France chaque année, a progressé très significativement ces dernières saisons. Avec des exportations en hausse (100 000 t) et des importations stables (135 000 t/an). Au final, la consommation s’établit autour de 635 000 t/an.

Pour rappel, 6 millions de tonnes sont produites dans l’UE dont environ la moitié par l’Espagne et les Pays-Bas.

– L’échalote se situe un peu au-dessus de l’ail en quantités consommées. À une production nationale d’échalote dite traditionnelle proche de 40 000 t/an, viennent s’ajouter environ 4 000 tonnes d’échalote issue de semis.

En comparaison de la quantité totale de légumes consommée en France (plus de 5 millions de tonnes), cela peut paraître assez modeste (à peine 15 %). Mais ces trois plantes ont une vocation principalement condimentaire (un peu moins toutefois pour l’oignon), apportant aux mets avant tout un complément de goût auxquels s’ajoutent quelques arguments bénéfiques sur la santé. Ce qui conduit à relativiser leur importance et leur donne de ce fait une présence conséquente dans l’alimentation humaine.

Leurs propriétés singulières expliquent le travail d’amélioration et de domestication entrepris de longue date par les humains depuis la découverte de ces plantes sauvages dans leurs aires d’origine et au gré des échanges commerciaux.

  1. Un goût et une odeur bien spécifiques

Quand on broie ces trois produits, une odeur forte assez typique de chaque espèce se dégage, due à des précurseurs soufrés qui se transforment en sulfures volatils (par le biais d’une enzyme. Exemple, l’alliinase dans le cas de l’ail).

  1. Les Alliums alimentaires. De quelles plantes parle-t-on ?

Ce sont des plantes généralement herbacées vivaces à bulbes, à feuilles simples, basiques engainantes et aux fleurs formant une ombelle à l’extrémité d’une hampe nue.

Ce sont des monocotylédones hermaphrodites de la famille des amaryllidacées (anciennement liliacées). Les fleurs comportent six étamines entourant un style émergent. Le fruit est une capsule contenant les graines.

Certaines, en plus de leur tendance à la reproduction sexuée par graines, se multiplient végétativement à partir de bulbilles, en général provenant de la souche, parfois des inflorescences.

Parmi les Alliums alimentaires, outre l’ail, l’oignon et l’échalote, on peut citer l’importance du poireau (180 000 t produites en France) et en moindre importance, des produits comme la ciboulette, la ciboule, etc.

  1. L’ail. Aire d’origine de l’ail (Allium sativum)

Le centre de primo-diversification se situerait en Asie centrale, autour de Samarcande en Ouzbékistan (Kazakhstan, Tadjikistan, Xingjiang) avec une branche secondaire en Méditerranée et dans le Caucase et une autre en Afghanistan et au nord de l’Inde. Ces souches sauvages seraient à l’origine des divers cultivars sur lesquels s’appuiera plus tard la sélection moderne.

Ces plantes étant présentes spontanément dans l’environnement de nos ancêtres, leurs propriétés gustatives particulières suscitèrent très vite de l’intérêt. On trouve trace de la présence de l’ail très anciennement, en Mésopotamie, en Égypte, en Grèce et chez les Romains. Peu à peu, leur goût singulier assez puissant suscita l’imagination (en leur attribuant des propriétés souvent favorables : bienfaits sur la santé, sécurité, protection). On peut penser que la relative aisance avec laquelle il était possible de multiplier ces plantes l’année suivante à partir de petits bulbes conservés (gousses, caïeux) fut un facteur d’amélioration notable qui permit de passer progressivement à des formes plus évoluées aux performances accrues. Plus ou moins sciemment sans doute au début, mais beaucoup plus volontairement à partir de 1600 comme on le constate dans la publication de l’agronome français Olivier de Serres : Théâtre de l’agriculture.

  1. La sélection de l’ail

Cette domestication de la plante sauvage par l’homme se poursuivit peu à peu, non seulement dans les aires d’origine mais aussi au fur et à mesure que les échanges commerciaux s’établirent à travers pays et continents.

Des caractères comme la grosseur du bulbe, l’intensité du goût, le comportement cultural plus ou moins aisé (adaptabilité au secteur cultivé avec les aspects de longueur de jour influant sur la tubérisation…) et d’autres propriétés recherchées des utilisateurs, conduisirent à la création de clones sur lesquels le travail de sélection moderne s’installa à partir du milieu du siècle dernier.

Dans les années 1980, un travail collectif de spécialistes physiologistes, sélectionneurs et phytopathologistes a recensé les groupes variétaux d’ail que l’on peut répertorier sur la planète (Les Alliums alimentaires reproduits par voie végétative, ouvrage coordonné par C.M. Messiaen, paru en 1993).

  1. Reproduction par graines et reproduction par voie végétative

Les chercheurs botanistes qui se sont appuyés d’abord sur des caractères comme la morphologie des feuilles pour classer les Alliums, admettent qu’il faut pour cela aller plus loin dans l’étude de leurs organes floraux. Leur mode de reproduction vers la voie végétative, orientation imposée par l’homme chaque fois qu’il en a ressenti l’intérêt, est une tendance toutefois spontanée dans certaines de ces espèces.

Le retour à une production de graines a été favorisé récemment par le travail des sélectionneurs en vue de faire avancer la création moderne dans certains exemples, comme on l’évoquera pour l’ail et l’échalote.

  1. Sélection massale puis clonale de l’ail

Les populations anciennes cultivées traditionnellement à partir de reproduction de bulbes réservés en tant que « semences » pour l’année suivante, étaient par nature très hétérogènes. Les tentatives pour améliorer leurs performances, les homogénéiser en ne gardant que les bulbes les mieux conformés montrèrent vite leurs limites. Aussi il s‘avéra nécessaire d’introduire la notion de sélection clonale à partir de bulbes prometteurs sur plusieurs générations, à même de confirmer cette amélioration, pour se limiter à la culture de ces derniers. Cette méthode fut facteur d’amélioration pour les principaux clones cultivés.

  1. Étape suivante : la régénération par culture de méristèmes

La présence de virus quasi généralisée sur les plantes d’ail en France a amené les chercheurs à utiliser la culture de méristèmes pour une amélioration sanitaire immédiatement perceptible en production. Dans les années 1980, cette technique de laboratoire a permis d’obtenir des résultats probants. Ces petits amas de jeunes cellules situées dans les bourgeons étant quasi exempts de particules virales, leur reproduction en conditions stériles, puis leur culture en tubes à essai et bocaux pour recréer des plants viables, furent le moyen le plus rapide de régénérer des variétés fortement virosées. Les progrès furent importants en ce qui concerne l’assainissement contre l’OYDV (Ognon Yellow Dwarf Virus) ou la « bigarrure de l’oignon ».

  1. L’obtention de plants certifiés à partir de ces variétés améliorées

En pointe dans ces techniques et disposant de bon matériel cultural, la France a mis au point dans les années 1970 en ail (1980 pour l’échalote) une production contrôlée de plants certifiés, destinée ensuite aux agriculteurs cultivant de l’ail de consommation. Un schéma sur plusieurs années (afin de disposer du potentiel de quantité suffisant) fut proposé. Chaque génération servira de plants à la suivante, avec des préconisations culturales strictes et ce sous contrôle d’organisations structurées (Gnis, Soc, Prosemail, Inra…). Ce schéma permit d’assurer aux plants une maîtrise sanitaire indiscutable et donna des garanties de sécurité au produit commercialisé.

  1. Nouvelles techniques de création variétale

L’obtention de nouveaux clones par semis de graines est une voie prometteuse pour les sélectionneurs et a déjà abouti à des nouveautés, cultivées désormais à grande échelle.

Cherchant à poursuivre l’amélioration des variétés proposées aux agriculteurs, de nouvelles techniques furent et continuent de faire l’objet d’innovations parmi les chercheurs travaillant sur cette espèce. Le recours aux biotechnologies ne garantit toutefois pas une réussite aisée de ces programmes, certains étant abandonnés après tentatives infructueuses (mutagénèse par irradiation, mutagénèse chimique). D’autres sont en cours de réalisation (variabilité in vitro…) et pourraient conduire à l’introduction de nouvelles variétés sur le marché, détentrices de caractères intéressants.

  1. L’oignon. Aire d’origine de l’oignon (Allium cepa gr. cepa)

Elle est difficile à situer avec exactitude, les plantes d’origine se situant en Asie centrale très probablement, car sa présence dans l’alimentation remonte à très loin dans toute la région allant de la Palestine au nord de l’Inde (Baloutchistan). On en consommait en Mésopotamie, en Égypte, chez les Grecs et les Romains. Il était conseillé d’en manger dans notre pays en l’an 800 (recommandé dans le Capitulaire de Villis de Charlemagne au début du IXe siècle) et l’oignon était très courant dans la nourriture en Sicile au cours du Xe siècle.

L’oignon était très prisé comme condiment mais aussi, du fait de sa relative douceur pour certaines variétés, en tant que légume, souvent associé à d’autres dans de nombreux plats.

  1. Reproduction par graines de l’oignon

Une graine d’oignon semée au printemps donne généralement un bulbe unique qui est récolté de l’été à l’automne, selon le caractère de précocité de la variété en question. Si on devait la laisser sur place, en conditions pas trop rigoureuses tout l’hiver, on obtiendrait une repousse de la plante au printemps suivant (année N+1) à l’origine du développement d’une hampe florale produisant des graines en cours d’été. Le caractère bisannuel de cette plante est sa caractéristique principale, mais dans la pratique, la production de semences est réalisée à partir des bulbes récoltés l’été et mis en terre au printemps suivant.

C’est une plante dite sensible à la photopériode, classée comme plante de jours longs, avec un renflement de son bulbe situé à sa base. Sa bulbification (parfois appelée tubérisation) intervient de ce fait en été sous nos latitudes pour la majorité des variétés cultivées.

Pour ces raisons, des variétés cultivables plus au nord comme aux Pays-Bas, de même que plus au sud en Espagne par exemple, ne se trouvent pas forcément adaptées aux conditions de culture du Val de Loire, du fait d’une longueur de jours estivale différente. Les sélectionneurs tiennent compte aujourd’hui de ce fait pour proposer sur la planète des variétés adaptées à chaque territoire.

  1. Méthodes traditionnelles d’amélioration

Au fil des siècles, les cultivateurs ont sans aucun doute laissé en terre ou bien conservé à partir de leurs récoltes quelques bulbes utilisés l’année suivante comme futurs porte-graines. Sur deux saisons, une même variété, souvent une population assez hétérogène, s’entretenait ainsi, avec un large brassage de gènes. La fécondation croisée entre ces plantes allogames (surtout entomophile, par les insectes) se combine en effet avec une certaine dose d’autofécondation.

Un travail de sélection plus abouti a débuté au moment où les agronomes ont recommandé de sélectionner les plus beaux sujets pour obtenir les graines au potentiel plus performant. L’exemple des conseils d’Olivier de Serres en 1600 peut de nouveau ici être cité.

Les variétés « populations » issues de ces bonnes pratiques liées à l’observation, furent donc exclusives jusqu’au milieu du siècle précédent (XXe), avant que n’apparaissent les premières nouveautés obtenues volontairement de façon hybridée.

  1. Les variétés hybrides d’oignon

Les établissements semenciers s’appuyèrent sur un travail conséquent pour proposer aux agriculteurs des variétés hybrides dont le principal argument était d’obtenir une homogénéité de plus en plus forte. Cela donnera à la culture un niveau de régularité désormais amélioré, facteur d’accroissement très significatif des rendements. Ainsi, dans leurs catalogues, une multitude de variétés toujours plus compétitives fut offerte aux producteurs qui mirent au point en parallèle, avec les équipementiers, des techniques de culture toujours plus poussées. Cela conduira à des améliorations de performances très significatives.

Avec ces nouvelles variétés, les cultures d’oignons, longtemps cantonnées à des bassins modestes, s’élargirent de ce fait aux grandes plaines céréalières, avec des méthodes qu’on peut qualifier aujourd’hui de résolument industrielles.

L’obtention de ces variétés hybrides de première génération, puis avec des variantes selon des méthodes plus sophistiquées, fait l’objet de travaux de recherches et de mise au point que seules des firmes très spécialisées sont à même d’entreprendre, en parallèle et en relation parfois avec la recherche publique.

En oignon, les critères recherchés sont nombreux, allant de la couleur des tuniques et de celle de la chair, du calibre des bulbes à la fermeté avec des taux variés de matières sèches, l’aptitude à la longueur de jours, les résistances aux maladies (champignons foliaires ou telluriques par exemple), etc. Et le panel de nouveautés proposées chaque année est large désormais, en considération de la puissance des firmes qui œuvrent dorénavant sous toutes les latitudes.

  1. L’échalote. Aire d’origine de l’échalote (Allium cepa gr. aggregatum)

Au sein des Allium cepa, on distingue botaniquement l’oignon (groupe cepa) de l’échalote (groupe aggregatum). Longtemps on a évoqué pour cette dernière une espèce spécifique intitulée Allium ascalonicum, mais désormais la relative proximité avec l’oignon ne semble plus faire de doute au sein de la taxonomie récente. Ce consensus scientifique fut consolidé avec l’inscription distincte des variétés sur le Catalogue officiel des variétés de l’Union européenne dans les années 1990. Et un oignon de forme allongée, au léger goût d’échalote, fut classé d’autre part dans une rubrique spéciale intitulée « échalion » en 1995 au sein de ce même catalogue oignon.

La grande différence entre l’échalote et l’oignon (tout au long de leur histoire ancienne et commune) c’est, outre leur goût bien distinct, la tendance naturelle de l’échalote à se reproduire de façon végétative, quand l’oignon préfère la reproduction sexuée. Si l’aire géographique, difficile à définir avec précision, semble bien recouper celle de l’oignon, (des plantes apparentées existent au Turkestan), nos ancêtres au fil du temps ont probablement remarqué ces propriétés singulières des plantes originelles, qu’ils ont su reproduire pour conduire peu à peu aux types cultivés variés, présents au début du siècle dernier.

La ville d’Ascalon en Judée lui aurait donné son nom (…), mais il est certainement faux d’expliquer que les Croisés sont à l’origine de sa présence en Europe occidentale, alors qu’on trouve l’échalote dans le Capitulaire de Villis dès l’an 800.

On distingue aujourd’hui couramment deux types majeurs d’échalotes, l’échalote rose dite de type « Jersey » et l’échalote grise, plus rare et dont la similarité de caractères la conduise à être classée en tant qu’Allium oschaninii (avec tunique très coriace, chair violacée, racines puissantes, quasi-absence de montaison à graines).

Les chercheurs en systématique ont tenté de préciser les relations de proximité botanique entre échalote et oignon, comparant diverses espèces sauvages regroupées en Alliums et s’en tiennent désormais à cette taxonomie. Les nombreuses appellations populaires des variétés fermières sont facilement source de confusion, nécessitant une certaine prudence pour savoir de quoi on parle.

  1. Les débuts de la sélection de l’échalote en France

Au début des années 1980, des premiers clones collectés à partir de variétés populations fermières, sont régénérés sur le plan sanitaire, à partir de cultures de méristèmes. Débarrassées du virus OYDV, une demi-longue de Jersey (Mikor) et une longue de Jersey (Jermor) issues des travaux de l’Inra, commencent à être cultivées. Leurs performances sont rapidement constatées à la hausse, avec un rendement amélioré de l’ordre de 25 %.

D’autres sont laissés en l’état, car de moindre intérêt commercial (type bretonne ronde, néerlandaise de divers coloris, longue qui monte…).

Les types tropicaux, très cultivés dans des pays comme l’Indonésie, ou chinois, ou encore africains, ne présentent pas non plus d’intérêt en culture dans nos régions.

  1. La production de semences certifiées d’échalote

Similaire à l’ail commencé dans les années 1960, un schéma de production de semences certifiées d’échalote se met en place sous l’impulsion de quelques acteurs au début des années 1980. Inra, Gnis et Soc, Prosemail et organisations professionnelles mettent au point un schéma qui permet en cinq à six générations d’obtenir une quantité de plants (*) certifiés équivalente aux besoins de la profession spécialisée.

(*) En échalote on parlera plus tard couramment de plants plutôt que de semences du fait d’un conflit autour de la détermination botanique, survenant lors de l’arrivée sur le marché d’échalote de semis.

Des règles strictes d’isolement des parcelles de plants, de rotation de terrain, d’épuration et de contrôles par analyses sont imposées, auxquelles s’ajoute une traçabilité précise de tout ce matériel végétal.

L’objectif est de mettre en mains des cultivateurs acquéreurs de ce plant certifié une quasi parfaite garantie sanitaire (contre virus et champignons telluriques…). Les résultats, comme en ail, s’avérèrent rapidement très probants, encourageant à la généralisation de ce schéma, et progressivement des nouveautés variétales furent proposées par un nombre toutefois limité de sélectionneurs.

  1. La création de variétés d’échalote se cultivant à partir de graines

Au tout début des années 2000, un sélectionneur néerlandais propose à la vente des variétés d’échalotes se cultivant de façon relativement similaire à l’oignon, à partir de semis de graines. Au-delà d’un conflit (qui n’est d’ailleurs pas définitivement clos), portant sur la légitimité d’appeler échalote des plantes qui peuvent s’avérer pour certaines botaniquement plus proches de l’oignon, car issues de croisement intra-spécifiques (entre groupe cepa et groupe aggregatum), c’est un enjeu à la fois commercial et de défense de l’authenticité de l’échalote et de son goût qui se joue. Une proportion notable d’échalote issue de semis est à ce jour constatée en consommation, à côté des échalotes dites traditionnelles, fleuron de la production nationale.

Mais au-delà de ce problème, c’est par la production de graines, en provoquant la montaison de clones, que sont passés nos chercheurs nationaux, à l’origine de variétés récentes qui sont cultivées désormais, de retour en reproduction végétative.

  1. L’ail, l’oignon et l’échalote, trois Alliums condimentaires « importés » d’Asie centrale

Originaires des régions du centre de l’Asie, ces trois Alliums représentent une part importante de notre alimentation. Il est loin le temps où nos ancêtres, constatant la particularité du goût et de l’odeur de ces plantes singulières et attrayantes, travaillèrent peu à peu à leur amélioration au fil des siècles.

Leur connaissance scientifique de plus en plus approfondie permet aujourd’hui aux semenciers d’offrir aux agriculteurs des variétés toujours plus performantes, au grand plaisir des consommateurs. Et un travail de fond semble entrepris pour rechercher et sauvegarder des plantes sauvages proches et dont le potentiel génétique est à même de fournir des caractères utiles à la création des variétés de demain.

Jacky Bréchet

  • Ingénieur des techniques agricoles (Enita Bordeaux 1973)
  • Spécialisé en protection des plantes puis en productions légumières
  • Carrière professionnelle en Anjou (1975/2013). Conseils techniques et développement des productions de légumes (Chambre d’Agriculture puis Coopération agricole)
  • Appui aux exploitations et animation responsable du service technique de la SCA Fleuron d’Anjou. Destination d’une large gamme vers le marché du frais : oignons, échalotes, melons, tomates, asperges, radis …. Porteur principal du dossier IGP échalote d’Anjou.
  • Secrétaire technique national de la Section échalote de Prosemail.
  • Membre de la Section potagère du CTPS (représentant les Utilisateurs de semences et plants)
  • Retraité senior bénévole (Ecti 49) depuis 2013 en tant qu’expert légumes (10 missions en Chine…)
  • Engagé dans diverses organisations para-professionnelles agricoles
  • Rédaction récente d’un ouvrage illustré de 180p. « 30 années d’ambition collective pour le développement des légumes en Anjou ».

La carotte n’a pas toujours été consommée pour sa racine et n’a pas toujours été orange. Il s’agit même d’un légume récent. À partir de l’Asie centrale, la carotte a fait le tour du monde avec des évolutions de formes et de couleurs que l’on peut retracer grâce à de l’iconographie, des écrits, mais aussi des marqueurs moléculaires. Grâce à ses maraîchers de ceinture verte, la France est considérée comme un centre de diversification secondaire de la carotte. La riche histoire évolutive de cette espèce se traduit par une importante diversité génétique, encore insuffisamment connue et valorisée.

Emmanuel Geoffriau

Emmanuel Geoffriau est professeur en diversité génétique et agronomie des cultures légumières à l’Institut Agro et chercheur à l’Institut de recherche de l’horticulture et des semences à Angers. Ses recherches portent sur la diversité génétique, la gestion des ressources génétiques et le déterminisme génétique combiné à l’adaptation à l’environnement des caractères de qualité. Il est responsable de la collection française de ressources génétiques de carotte et du groupe de travail ISHS Carrot and other Apiaceae.

Les animateurs

Yvette Dattée

Docteur d’État, Yvette Dattée a été enseignant/chercheur à l’Ecole Normale Supérieure puis à l’Université pendant les 20 premières années de sa carrière. Elle est ensuite entrée à l’INRAe où elle a dirigé le GEVES (Groupe d’étude et de contrôle des variétés et des semences). Elle a présidé EUCARPIA l’association européenne d’amélioration des plantes de 1989 à 1992.
Aujourd’hui retraitée, elle est membre de l’Académie d’Agriculture de France et Présidente du conseil scientifique de la SNHF.

Daniel Veschambre

Daniel Veschambre, ingénieur horticole, a fait sa carrière au Centre Technique des Fruits et Légumes (Ctifl) ; après un temps de travail de R&D dans le secteur légumes et fraisier, il a occupé divers postes notamment   à la direction du département Qualité des F&L et Protection de l’environnement. Il a finalement dirigé le département Légumes et fraisier du Ctifl pendant 12 ans, en développant notamment les travaux visant à réduire et à trouver des alternatives à l’emploi des produits phytosanitaires de synthèse.

Philippe Morel-Chevillet

  • Diplômé de l’Ecole Nationale d’Ingénieurs des Techniques Horticoles (ENITHP) d’ Angers, Ingénieur d’étude INRA de 1985 à 2007, Ingénieur de recherche INRA, de 2008 à 2019;
  • 1982-86 : Directeur technique d’une station régionale d’expérimentation en fruits et légumes en Corse
  • 1986-96 : Responsable d’un programme de recherche appliquée puis directeur technique d’une station d’expérimentation en horticulture ornementale (Comité National Interprofessionnel de l’Horticulture à Angers)
  • 1996-2008 : Responsable d’un programme de recherche sur l’agronomie horticole et les supports de culture (INRA d’Angers)
  • De 2008 à 2019 : Co-responsable d’un programme de recherche sur le déterminisme génétique et environnemental de l’architecture du buisson (Institut de Recherche en Horticulture et Semences d’Angers)
  • De 2014 à 2019 : Président du Conseil Scientifique de l’Institut Technique de l’Horticulture ASTREDHOR
  • De 2017 à 2019 : Co-animateur de l’Unité Mixte Technologique STRATège.

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