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Les remplois dans les jardins de la Riviera

L’avènement en Europe des sensibilités romantiques à partir de la seconde moitié du 19ème siècle se caractérisa notamment par l’implantation de fabriques dans les jardins, petits édifices décoratifs et fausses ruines, évoquant la nostalgie d’un monde perdu. Certaines des grandes créations de l’époque ont pu résister au temps : en Ile de France les domaines de Betz, Ermenonville, Méréville, Mortefontaine, Retz.

Un siècle plus tard, le mouvement des arts décoratifs engendrera auprès d’un certain nombre de mécènes cultivés, une inclination à valoriser leurs résidences et jardins par l’insertion d’éléments de remploi, provenant de toutes les époques de la création – de vraies fabriques en quelque sorte.

Un moment privilégié en France fut constitué par la démolition du palais des Tuileries à Paris, effectuée à partir de 1884. L’entrepreneur qui obtint l’adjudication mit en vente les éléments du site les plus achevés. C’est ainsi que le château de La Punta propriété de la famille POZZO di BORGO, situé au-dessus de la baie d’Ajaccio, fut largement constitué d’éléments de remploi du 17ème siècle en provenance des Tuileries, à commencer par les façades, dont l’une d’entre elles offre par exemple deux niveaux de colonnade superposés. Sur la Côte d’Azur, Léon CARVALHO devait acquérir de son côté 43 fragments : gloriette, portails, statuaire, etc, qu’il disposera dans les jardins de la villa Magali à Saint Raphaël (1).

L’espace nous manque pour restituer la saga de cette propriété tout au long du dernier demi-siècle, mais elle eut finalement la chance de pouvoir être acquise ces dernières années par un nouveau propriétaire qui remit en état l’intégralité du site (2).

Au début du 20ème siècle un talentueux décorateur italien, architecte et paysagiste, tenant d’une esthétique néo-gothique s’ouvrant à l’art nouveau –Raffaele MAÏNELLA (1856-1941)– collaborateur privilégié de quelques richissimes mécènes, réalisa quelques fééries sur notre sol : villas Torre Clementina et Cypris sur la Riviera, parc du château de Balincourt en Ile de France (3).

R. MAÏNELLA appartenait à un courant de praticiens qui sillonnaient alors l’Europe pour y racheter des éléments d’édifices anciens afin de les remployer ailleurs : porches et fenêtres, escaliers, bas-reliefs, chapiteaux et autres motifs sculpturaux, éléments de statuaire, arcades, vasques. Le fait peut apparaître choquant aujourd’hui, mais il était licite à une époque où la législation sur la protection des monuments historiques était inexistante (et il demeure licite aujourd’hui au regard des édifices qui ne font pas l’objet de mesures de protection).

A un moindre niveau, la belle villa Ile de France du Cap Ferrat voulue par Béatrice EPHRUSSI, porte également la marque de la réinsertion d’éléments de remploi glanés au cours de ses pérégrinations. Un espace aujourd’hui qualifié de « jardin lapidaire » qui devait initialement abriter un cloitre (projet réalisé par Harold PETO) rassemble quelques échantillons très mineurs d’une quête dont il semble que bien des composants muséaux aient aujourd’hui disparu.

La belle villa Ile de France du Cap Ferrat

Edouard LARCADE (1871-1945) fut un antiquaire prestigieux du premier tiers du 20ème siècle, qui devait notamment s’engager dans le négoce de structures architecturales anciennes. Il deviendra aussi l’un des mécènes du musée du Louvre.
Le site de l’Abbaye de Roseland, résidence niçoise édifiée en 1923, sera presque intégralement formé de composants médiévaux. La plus élégante des réalisations apparaît sous la forme d’un cloître majestueux, dont la plupart des éléments proviennent d’édifices religieux du sud-ouest de la France ; il est notamment établi que la colonnade intérieure provenait de l’ancienne église (d’origine paléochrétienne) de la Daurade à Toulouse. Ultérieurement une allée monumentale sera réalisée, la plus fastueuse peut-être, de toute la Riviera [elle est librement visible dans le repli du 44 Bd Napoléon III à Nice ; le site a été légué à la ville et devient accessible à certains moments de l’année].
L’ancienne résidence francilienne d’Edouard LARCADE à Saint Germain en Laye, qui supporte aujourd’hui un ensemble d’immeubles collectifs, conserve toujours dans ses jardins quelques structures anciennes d’intérêt, notamment un théâtre romain du 2e siècle, avec gradins et mur de scène. La façade d’un pavillon Renaissance, léguée à la ville, est aujourd’hui disposée dans le square de la bibliothèque municipale (4).

Jacques COUELLE (1902-1996) dessinateur d’art puis architecte, développa une importante activité de négociant en matériaux culturels médiévaux dans l’entre-deux guerres. Il semble avoir organisé la récupération de ces éléments sur une grande échelle auprès de communautés religieuses, municipalités ou propriétaires privés. Il s’était installé à Aix en Provence et effectuait une publicité dans les périodiques mondains de l’époque. Il constituera une association vouée à la promotion de l’artisanat d’art – la Décoration architecturale – qui organisera en 1935 une mémorable Exposition d’art roman, avec une centaine d’objets présentés (Les provenances des pièces sont presque toutes indiquées dans le catalogue de l’exposition ; introduction du jeune François SPOERRY, futur architecte de Port Grimaud). Avec Edouard LARCADE, qui figurait également au comité d’organisation, Jacques COUELLE deviendra un correspondant privilégié du musée des Cloisters à New York.
Ses principales réalisations de l’époque comme architecte de remplois, se trouvent presque toutes dans la région grassoise : Domaine des Penchinades, Bastides de Fontvieil, Pigranel et Saint François ; château de Beaumont – microcosme d’un village provençal – et surtout château de Castellaras. Mentionnons également les domaines des Fourches et des Porches, pour la famille PELISSIER à Castres (5).

P. S : L’un des fils de J. COUELLE, Jean Pierre COUELLE également architecte aixois, sera l’instituteur de l’ARPA, association sans but lucratif pour la restauration et la sauvegarde du patrimoine, regroupant des professionnels retraités des métiers de l’architecture et des professions artistiques, afin d’apporter conseils et compétences aux propriétaires, publics et privés, d’édifices historiques (l’ARPA dispose d’un site internet). J.P. COUELLE fondera ultérieurement sur les mêmes principes, l’association Fontaines en France à Aix en Provence.

Norbert  PARGUEL, section Art des Jardins

Sources

1) E. MICHAUD-JEANIN : En ces jardins, un palais perdu (Vieilles maisons françaises, avril 1985).
2) On recueillera quelques vues récentes des jardins de la villa Magali dans l’ouvrage de J. CHEVILLARD : Les villas anciennes de Saint Raphael (Office du tourisme, 2007 p.202sq).
3) Nous avons publié un résumé de la biographie inédite de R. MAÏNELLA, établie par sa fille Norah, dans le n°15-2012 de Jardins du Sud.
4) L’Abbaye de Roseland fit l’objet d’une monographie dans L’Illustration du 19 janvier 1929. Sur la constitution de la propriété,  on se reportera au dossier érudit établi par Jean MARX  (In Situ, n° 2-2002 ; le texte est accessible sur internet).
On trouvera un aperçu de l’ensemble des édifices de remploi implantés sur le site de Saint Germain, notamment une vaste demeure médiévale du 15e siècle, tout comme les autres démontée et remontée pierre par pierre – et semble t-il rasée lors du lotissement, faute d’acquéreur – dans une communication sur le peintre Georges MATHIEU (Dynastie, septembre 1987). Sur la résidence parisienne de la rue du Bac, l’Hôtel de Chalais, renvoyons au recueil La rue du Bac (DARVP 1990, p.174sq) et sur sa composante gothique de remploi, initialement intégrée en fond de cour puis confisquée par l’occupant allemand, P. PLESSIS : Bleus de Chine (Connaissance des arts, juin 1928).
[Clin d’œil de l’Histoire : juste à côté de cette résidence devait ultérieurement s’établir une éminente libraire spécialisée dans l’estampe ancienne, Judith PILLSBURY  (Jardins de France, Mars 2007) ].
5) J. COUELLE : Les pierres anciennes dans les jardins provençaux (La saison de Cannes, juillet 1924) et Comment sauver le paysage (L’Express Méditerranée, juillet 1972). Les archives professionnelles de cet intervenant sont déposées au C.A.M.T. de Roubaix, mais elles ne concernent quasiment que ses grandes réalisations d’après-guerre sur la Côte d’Azur : Domaine du Redon, Port La Galère, Village de Castellaras, etc.

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