Des jardins de liberté

En quelques décennies, nos jardins ont cédé aux passions libertaires des jardiniers plus poètes que géomètres. Adieu la ligne droite dont le cordeau était la dernière manifestation de la rectitude et de l’équerre (vieux outils renvoyés au grenier des vieilles lunes). Au revoir les rangs d’oignons… si chers au marquis du même nom. Il n’y a plus de jardins domestiques dont l’âge d’or fut à coup sûr le XIXe siècle et sa bourgeoisie triomphante. Le jardinier allemand, un certain Schoen, en charge des jardins de Monceau à Paris appartenant alors à Louis-Philippe, futur roi des Français, l’exprima lorsque celui-ci, sentant sa gloire prochaine, voulut faire porter à toute sa domesticité le même habit à ses armes. Schoen lui retourna la livrée en déclarant : « Un jardinier ne sera jamais un domestique ». À l’égal du charbonnier maître chez lui, le jardinier est maître dans son jardin et la seule règle qu’il respecte est celle de la nature.

Jardins anglais où, à chaque détour, une surprise attend le visiteur, jardins à la française aux lignes géométriques et aux cultures réduites où les brouettes honorées du postérieur du Roi Soleil avaient seules le droit de se promener… Le Nôtre et La Quintinie furent seuls autorisés à conserver sur la tête leur large chapeau en présence du roi à l’instar des ducs et princes de sang.

La brouette aujourd’hui est prise à bras le corps par les ouvriers qui en ont fait un outil précieux autant que humble. Et maintenant, que devient la ligne droite dans nos jardins ? Est-elle roulée en boule comme un vieux cordeau au fond d’un tiroir ? L’oeil du jardinier est-il le seul instrument de la rectitude ?

En disparaissant, ce signe de la rigueur a libéré la fantaisie qui, comme les enfants, sommeillait en nous. Aujourd’hui, il est de bon ton de jardiner en rond et dans les jardins où les pieds de tomates se dressent parmi les fleurs annuelles, les artichauts s’épanouissent à l’abri de la haie champêtre. Les légumes se marient aux autres cultures et il semble que cela fasse beaucoup de bien à tout le monde. Le jardinier retrouve cette vérité que les plantes ont toujours sue : ensemble, elles se protègent mutuellement des parasites et des maladies dans des proportions non négligeables, faisant mieux que le jardinier ayant encore recours à une chimie destructrice et « tueuse de vie ».

J’interromps ici mon bavardage car un petit pois me téléphone, Napoléon est perché dans le cerisier et la chicorée rentre de son exil bruxellois aussi pâle qu’une endive et le chou de Milan offre sa pomme et la fraîche romaine offre son pain. Tout le jardin est en émoi. L’alguadulce montre un pas de séguedille au petit tarbais, heureux retraité. Le nombril de bonne soeur a l’air fl agada et ne me parlez pas de la Vérone qui parle d’amour à la trévise tandis qu’un gros pétsaï s’amourache d’une mandarine.

Le jardinier est en désordre mais ce n’est qu’un effet de l’art du jardinier en liberté.

Michel Lis
Le jardinier, Moustache Verte
Chroniqueur, reporter, journaliste et auteur
Conférences et échanges Jardiner autrement – Saintes, 16 février 2012

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