Un humanisme de l’horticulture

La plante et la fleur sont une médiation pour le « retour à la nature ». Formes, couleurs et parfums font appel à tous les sens. Nous avons là une EDUCATION DE LA SENSIBILITE. L’histoire fantastique de la plante et de la fleur nous ouvre à la compréhension de l’évolution de la vie sur la terre. Nous pouvons y trouver des leçons de sagesse : c’est en quelque sorte un ENSEIGNEMENT DE LA NATURE. Ce sont là deux exigences fondamentales, vitales, dans un monde dont nous ne maîtrisons pas l’explosion des changements. Le colloque des Prix Nobel a évoqué les menaces et les promesses de ce monde.

Les menaces ? Les comportements humains sont perturbés par l’accélération et l’ampleur des changements. Les promesses ? Elles sont grandes. Nous pouvons créer l’abondance et un monde vivable pour l’humanité toute entière.

Vous trouvez ici le point de vue et la subjectivité d’un pédagogue. J’ai été très frappé, il y a quelques années, par une réaction de l’Association des professeurs de biologie et d’histoire naturelle. Ces enseignants demandent que soit donné aux élèves une compréhension sensible du phénomène de la vie.

Un vaste débat est ouvert. Le public connaît maintenant l’interaction nécessaire des deux hémisphères du cerveau :
– Hémisphère droit : sensibilité, vision, intuition. Nos enseignements dédaignent ces pouvoirs majeurs.
– Hémisphère gauche : langage, abstraction, déduction. Nos enseignements misent surtout sur ces pouvoirs de la pensée. On pourrait dire que notre cerveau ne fonctionne qu’avec sa moitié utilitaire. Il faut donc, en tous milieux, mobiliser les moyens qui permettent de réinvestir le cerveau dans sa fonction millénaire.

L'éducation de la sensibilité

C’est, dans nos sociétés industrielles, la rééducation de l’hémisphère droit. Mais cette sensibilité demande un domaine pour se manifester. La fleur et la plante, la nature dans son acception la plus générale, sont notre recours. Il faut acquérir une vision du phénomène de la vie dans son évolution et dans sa situation actuelle. Voici un paradoxe. Nous ne pouvons pas éduquer la sensibilité si nous n’avons pas le recours au domaine vivant de la nature. Nous ne pouvons pas recevoir l’ENSEIGNEMENT DE LA NATURE si notre sensibilité ne nous y ouvre pas.

Voila pourquoi nous relions nos deux objectifs : éducation de la sensibilité – enseignement de la nature. Comment pouvons-nous les atteindre ? Quel en est le moyen? C’est très simple; Nous savons que les comportements sont influencés par de l’information. Quelle information devons-nous construire pour atteindre ces deux objectifs ? Nous pouvons ouvrir les voies d’une compréhension sensible du phénomène de la vie, L’histoire de la plante et de la fleur éclaire les origines de ce phénomène. La même histoire éclaire l’évolution même de l’espèce humaine.

Imaginons une caverne d’Ali-Baba. Il faut le « Sésame ouvre-toi » pour y pénétrer. La porte, c’est l’histoire de la plante et de la fleur. Une fois dans la caverne, nous pouvons accéder à une vision de l’évolution. Nous pouvons comprendre que par le fait de notre puissance sur les êtres et les choses, nous sommes responsables de l’avenir de la vie sur la terre et par conséquent de l’avenir de l’humanité. Tout se passe comme si dans un plan de la vie – un plan de Dieu pour le croyant – notre espèce devait assumer son propre avenir, mais assumer aussi l’avenir des millions d’espèces végétales et animales qui animent notre Terre.

Revenons à la porte de la caverne. Nous venons de dire qu’elle est ouverte par l’horticulture.  Nous découvrirons la complexité du phénomène de la vie, l’interdépendance de tout le vivant sur la planète, la nécessité de la solidarité… Nous ressentirons l’accélération soudaine de l’évolution de l’humanité. Nous aurons une vue d’ensemble sur le couple « Menaces-Promesses ». Nous ressentirons jusqu’à une sorte d’angoisse notre puissance pratiquement illimitée – la maîtrise du gêne et de l’atome. Nous devons organiser la vie sur la Terre. Nous sommes en quelque sorte le RELAIS DE L’EVOLUTION.

Relais de l'évolution

Alors, où en sommes-nous? Nous sommes dans l’inquiétude. Le grand public en connaît les raisons: dégradation des sols et des mers, de l’atmosphère et de la couche d’ozone, destruction d’espèces animales et végétales, extension de la violence, atteintes à la qualité de la vie, atteintes à la dignité de l’homme…

Il est proclamé qu’il faut construire un « nouvel ordre international de l’économie ». C’est par une vive compréhension du phénomène de la vie et de l’évolution de l’humanité que nous saurons lui donner sa direction. L’économie doit établir la meilleure relation possible entre le vivant et notre planète. Le dilemme : ou bien l’économie tient compte des exigences de l’ personne humaine et des soins que requiert la nature, et dans ce cas elle sera florissante dans l’épanouissement de la société; ou bien elle continuera d’ignorer l’impératif vital du respect de l’homme, de la nature et de la vie, et dans ce cas elle sera malade de la maladie de l’homme, de la maladie de la Nature et finalement malade de la maladie des sociétés industrielles.

La crise. Obsession de l’Avoir. Terrible inégalité Nord/Sud. On oublie l’Etre. On oublie le développement véritable qui est un épanouissement de la personne humaine. Des Valeurs universelles sont proclamées. Des idées sont acceptées. On sait ce qu’il faut faire. Il faut passer à l’acte. Passage qui demande que l’Etre soit saisi tout entier. C’est notre propos. Montrer que nous pouvons transformer les comportements si l’information accède à la conscience par les voies de la sensibilité, du coeur et de l’imagination.

Voilà pourquoi les plantes, les fleurs ont une vocation prédominante. Elles ouvrent la porte de la caverne où l’on découvre les immenses richesses de la vie, que nous ignorons, richesses qu’il faut sauvegarder. Ressentir au plus profond de l’Etre que nous sommes les usufruitiers du patrimoine de la vie qui remonte aux origines. Nous devons nous conduire en gestionnaires. En ce qui nous concerne ici, il faut oser penser qu’il peut, qu’il doit y avoir un HUMANISME DE L’HORTICULTURE.

Un humanisme de l'horticulture

Les orchidées, maîtresses de l’enseignement de la nature. 20.000 espèces. La plus prodigieuse combinaison de formes, de couleurs et de parfums. Il faut lire le livre de Jean-Marie Pelt « Amours et civilisations végétales ». Il montre les origines de la vie dans la plante et la fleur. Une magie de la création. Je le cite. Il dit « L’histoire fantastique de la montée de la vie, de la poussée de la sève dans l’une des branches maîtresses de l’arbre généalogique du monde vivant : le règne végétal. Une histoire où l’on décèle le génie de l’organisation du vivant, la logique de ses structures, de ses hiérarchies, de ses organisations, de ses chronologies, de ses mécanismes et de ses 1ois. »

Permettez-moi de citer encore Jean-Marie Pelt. Il proclame un acte de foi en la vie. Ecoutons: « Non, l’univers n’est point le chaos. Et, si désordre il y a, c’est d’abord dans notre tête qu’il faut l’y chercher! Pauvre cerveau humain, saturé d’informations futiles ou contradictoires et trop absorbé par la nécessité de s’agiter et de courir sans cesse pour pouvoir encore découvrir ce que tous les hommes de tous les temps avaient su voir et exprimer à travers leurs sagesses et leurs religions : à savoir, que l’univers a un sens, qu’un ordre profond le régit et s’impose à nous comme au microbe, à l’animal ou à la fleur. Ce que chaque enfant indien apprend de son père et de sa terre, nous l’avons oublié, préoccupés que nous sommes à manipuler nos ordinateurs et à entretenir à grand frais l’énorme machine à produire et à consommer qu’est devenue notre civilisation. »

Il faut qu’un retour à la nature soit une redécouverte de la sagesse, un retour à nos racines.

Les racines

L’enseignement de la nature, c’est l’enseignement de la vie. Il a primordialement pour objet de nous faire découvrir nos racines dans l’évolution même de la vie. Ces racines commencent dans la fabuleuse création des orchidées. Nous les percevons ensuite dans l’histoire de l’humanité, l’histoire des civilisations, des peuples, des provinces. C’est finalement l’histoire du petit coin dans lequel chacun de nous a vécu, dans lequel il s’est enraciné. C’est à partir de cette référence intime que nous remontons vers un passé qui nous enseigne la sagesse de la vie. Tocqueville l’a ressenti « Si le passé n’éclaire pas l’avenir, disait-il, l’esprit avance dans les ténèbres ». Il faut sauvegarder le passé de la Vie pour en assurer le règne dans les générations futures. Revenons aux orchidées: 20 000 espèces. Citons encore Jean-Marie Pelt : « Comment la vie a-t-elle permis un aussi fabuleux déploiement d’imagination pour aboutir à des êtres végétaux aussi sophistiqués, et qui finissent par nous apparaître comme de tout proches cousins ».

« La Vie, constate J-M. Pelt, n’accumule jamais ses déchets à l’infini : elle les recycle soigneusement, évitant ainsi le risque de s’étouffer sous ses propres déchets. Bel exemple de recyclage que l’écologie offre aux économies des vieux pays industriels qui, ayant déjà épuisé leurs ressources, sont contraints, aujourd’hui, de songer, eux aussi, à recycler leurs déchets pour économiser des matières premières devenues rares et coûteuses« .

J’ai dit que tout le propos était orienté pour l’enseignement de la nature. Entendons cet enseignement pendant qu’il est encore temps. Il faut maîtriser, recycler nos déchets avant que leur encombrement rende la terre invivable. Sans tomber dans le piège de « l’anthropomorphisme » nous découvrons avec un étonnement sans borne ce qui nous apparaît comme « une intelligence de la Vie« .

Les orchidées savent ruser pour assurer la reproduction avec la collaboration de l’insecte. J.M. Pelt constate que « les orchidées mimétiques prennent d’étonnantes précautions pour conserver leur pouvoir de séduction : elles font preuve, ici encore, d’une surprenante féminité, mettant en oeuvre les techniques de maquillage les plus sophistiquées. Pour rester fraîches et attractives durant des semaines et parfois durant des mois, elles se revêtent de fards épais sous forme d’une cuticule élastique et imperméable leur permettant d’affronter le mauvais temps sans dommages. Ainsi, quelques millions d’années avant l’émergence de l’homme, l’orchidée savait combien est grand le rôle du maquillage et du vêtement dans les stratégies de la séduction. »

La maîtrise de la communication

Formes, couleurs, parfums se combinent de multiples façons pour séduire le partenaire mâle. Communication dans le domaine du sensible, l’appel à tous les sens. On peut dire que la fleur est la première agence de communication inventée par la Vie.

Il faut offrir aujourd’hui la fleur de telle manière qu’elle ouvre la sensibilité, le coeur et l’imagination aux problèmes de notre monde. C’est cela même l’objet du couple « éducation de la sensibilité -enseignement de la Nature ».

L’HEMISPHERE DROIT. Nous avons dit en préambule de cet exposé le délaissement de l’hémisphère droit. Une mutilation du vivant. Il faut réanimer l’Etre. Il faut que l’on ressente, dans la profondeur – dans les tripes, dirait l’homme du peuple – la splendeur du phénomène de la Vie. On parle beaucoup des biotechniques, ce pouvoir dans le domaine de la vie. De quel droit intervenir ? Quels critères avons-nous pour orienter notre action sur la Vie dans tous les recoins de la planète ?

La réponse est un acte de soumission à la Vie. Il faut être guidé par Elle. Et nous revenons sans cesse à l’ENSEIGNEMENT DE LA NATURE. « Elle (la nature) nous apprend qu’elle sait faire tout ce que nous faisons, puisqu’elle le fit avant nous … avant de nous faire. Elle est notre modèle. Tout nous unit à elle. Et nous en émergeons (Jean-Marie Pelt) ». Elle enseigne le courage et la dignité.

L'enseignement de la nature

La nature nous enseigne finalement la sagesse de la vie. Etymologie ! VIE – Bio. SAGESSE – Sophie. Le tout : BIOSOPHIE.

LUXE : On voit partout dans nos campagnes les fleurs proliférer dans les espaces les plus insolites. Leur domaine jadis ne dépassait guère les murs qui entourent le château du village. On pourrait donc dire qu’il y a aujourd’hui « un luxe démocratique ». La fleur devient populaire. Voilà une  situation antinomique puisque par définition, le luxe est un bien ou un service coûteux, apanage d,’une population aisée, peu nombreuse et cultivée (tableaux, sculptures, meubles, tapis) : « un luxe aristocratique« .

Voltaire se réjouirait de voir un luxe démocratique. Il disait que « Si l’on entend par luxe tout ce qui est au-delà du nécessaire, le luxe est une suite naturelle des progrès de l’espèce humaine. » Mais les progrès de l’espèce humaine évoquent aussi aujourd’hui la fantastique efficacité des moyens de destruction. Le luxe, aristocratique ou démocratique, demande un progrès dans la paix. Il demande aussi la bonne santé des sociétés. C’est ainsi que des populations de plus en plus nombreuses pourront animer leur environnement par la plante et la fleur : le studio, la terrasse, le jardin intime, le jardin public. Animer des manifestations de toute nature.

La croissance économique permettra d’élever le pouvoir d’achat. Il reste à l’horticulture à inventer de nouvelles fleurs, à les produire en plus grande quantité. Une telle horticulture sera un des moyens d’épanouissement de la personne humaine. C’est dans cette perspective que se justifiera une appellation quelque peu insolite pour le moment : UN HUMANISME DE L’HORTICULTURE.

Il faut offrir aujourd’hui la fleur de telle manière qu’elle ouvre la sensibilité, le coeur et l’imagination aux problèmes de notre monde.

Ce texte a été écrit en 1988 par Henri Delbard, président de la SNHF avec son ami philosophe, Henri Charnay.

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