[Conférence] D’où viennent nos légumes ? La journée d’information SNHF partie 1/4

Conférence en présentiel

Partie 1
Date :
16 novembre 2023 de 14h30 à 17h00
Lieu : Académie d’agriculture de France, 18 rue de Bellechasse, 75007 Paris
Tarif et inscription : gratuit, inscription en ligne

  • Centres d’origine et de diversification des principales espèces, par Michel Chauvet
  • Histoire de la consommation de légumes en Occident, par Florent Quellier
  • Les marchés du Moyen Âge, par Madeleine Ferrière

Ces journées d’information s’organisent en une conférence en présentiel le 16 novembre suivie de trois webinaires : les 5, 12 et 19 décembre 2023.

Les journées d’information de la SNHF 2023

REVOIR LES CONFÉRENCES

Centres d’origine et de diversification des principales espèces, par Michel Chauvet

Histoire de la consommation de légumes en Occident, par Florent Quellier

Les marchés du Moyen Âge, par Madeleine Ferrière

Michel Chauvet

Ethnobotaniste, ingénieur agronome

Michel Chauvet a débuté sa carrière au secteur légumes du Centre français du commerce extérieur. Il a ensuite été recruté par l’INRA comme chargé de mission au BRG (Bureau des ressources génétiques) et a participé aux négociations internationales sur la biodiversité et les ressources génétiques. Son intérêt pour la diversité des plantes cultivées l’a conduit à se spécialiser en ethnobotanique. Arrivé à Montpellier en 1999, il a d’abord été conseiller scientifique à Agropolis-Museum et responsable français de PROTA (Ressources végétales d’Afrique tropicale). En 2008, il a rejoint le laboratoire de botanique AMAP dans le cadre de Pl@ntNet, pour développer le projet Pl@ntUse, encyclopédie en ligne sur les plantes utiles. Il a aussi publié un certain nombre de livres, dont l’Encyclopédie des plantes alimentaires (2018).

Centres d’origine et de diversification des principales espèces de légumes

La plupart des légumes consommés en Europe viennent d’autres continents. Ce constat suscite souvent l’étonnement du grand public. On ne pouvait pas faire de ratatouille avant Christophe Colomb !

La notion de centre d’origine prête à confusion. Elle peut se référer à l’aire de répartition d’une espèce sauvage, ou bien, selon la conception de Vavilov, à la zone qui concentre le maximum de variétés cultivées, et qui est celle où cette espèce a été mise en culture pour la première fois.

La différence est de taille, puisqu’un certain nombre d’espèces ont été domestiquées ailleurs que dans l’aire de répartition de l’espèce sauvage. C’est le cas de la tomate, sud-américaine domestiquée au Mexique, et de l’aubergine, africaine domestiquée dans la région indo-birmane. Les deux se sont d’abord répandues comme adventices.

Par ailleurs, une espèce a pu être domestiquée pour un autre usage que celui de légume.  C’est le cas des Cucurbita, de la laitue, du radis ou de la roquette, qui ont d’abord été cultivés pour leurs graines oléagineuses. Le soja Glycine max offre le cas inverse, celui d’un légume sec devenu un oléagineux.

Enfin, les légumes tels que nous les connaissons résultent d’une longue évolution, dont il convient de retracer les étapes. Les cas les plus exemplaires sont les choux, Brassica oleracea, la moutarde, Brassica juncea, les melons et la bette devenue betterave.

Quelques espèces enfin sont apparues en culture par hybridation interspécifique. Elles n’ont donc pas de représentant sauvage direct. Hormis les blés, on trouve le rutabaga, Brassica napus.

Cela dit, on peut dresser une classification sommaire :

Europe

  • Allium porrum, poireau
  • Amaranthus blitum, blette
  • Apium graveolens, céleri
  • Asparagus officinalis, asperge
  • Atriplex hortensis, arroche
  • Beta vulgaris, bette et betterave
  • Brassica napus, rutabaga et colza
  • Brassica oleracea, chou
  • Cichorium endivia, scarole
  • Cichorium intybus, chicorée amère
  • Foeniculum vulgare, fenouil
  • Nasturtium officinale, cresson de fontaine
  • Pastinaca sativa, panais
  • Petroselinum crispum, persil
  • Rumex rugosus, oseille
  • Tragopogon porrifolius, salsifis
  • Scorzonera hispanica, scorsonère
  • Valerianella locusta, mâche
  • Vicia faba, fève

Amérique

  • Capsicum spp., piment et poivron
  • Cucurbita spp., courges
  • Phaseolus spp., haricots
  • Solanum lycopersicum, tomate
  • Solanum tuberosum, pomme de terre

Afrique du Nord

  • Cynara cardunculus, cardon et artichaut

Afrique tropicale

  • Abelmoschus esculentus, gombo
  • Cucumis melo, melon
  • Citrullus lanatus, pastèque
  • Vigna unguiculata, haricot niébé

Asie du Sud-Ouest (croissant fertile)

  • Cicer arietinum, pois chiche
  • Eruca vesicaria, roquette
  • Lactuca sativa, laitue
  • Lens culinaris, lentille
  • Pisum sativum, pois
  • Raphanus sativus, radis

Asie centrale

  • Allium cepa, oignon et échalote rose
  • Allium oschaninii, échalote grise
  • Allium sativum, ail
  • Allium schoenoprasum, ciboulette
  • Brassica rapa, navet et choux chinois
  • Cucumis sativus, concombre
  • Daucus carota, carotte
  • Rheum rhabarbarum, rhubarbe
  • Spinacia oleracea, épinard

Asie de l’Est

  • Allium fistulosum, ciboule
  • Brassica juncea, moutardes-feuilles
  • Glycine max, soja
  • Stachys affinis, crosne
  • Vigna radiata, haricot mungo

Florent Quellier

Professeur des universités

Florent Quellier enseigne l’histoire moderne à l’université d’Angers (laboratoire TEMOS – Temps, Mondes, Sociétés – UMR 9016). Membre du conseil scientifique de l’Institut européen d’Histoire et des Cultures de l’Alimentation, il est spécialiste de l’histoire de l’alimentation et du végétal. Il a notamment publié Gourmandise, histoire d’un péché capital (2010) ; Histoire du jardin potager (2012, réédition 2023) ; Festin, ripailles et bonne chère au Grand Siècle (2015), et a dirigé une vaste Histoire de l’alimentation de la préhistoire à nos jours parue en 2021.

Brève histoire de la consommation des légumes en Occident

Bien que longtemps dépréciés par l’ancestrale diététique humorale, par la théorie de la chaîne de l’être et par l’imaginaire de puissance associé à la viande depuis le haut Moyen Âge, les légumes feuilles, les légumes racines et les légumineuses ont été à la base de l’alimentation de l’Europe occidentale avec les céréales, essentiellement sous forme de soupes et de porées (hachis de légumes), matin, midi et soir.

À partir de la Renaissance, sans pour autant concurrencer le primat absolu de la viande, un net engouement pour des végétaux non roboratifs et pour des légumes primeurs et hors saison gagne la table des élites européennes par imitation d’un modèle italien : petits pois primeurs, asperges, artichauts et cardes se servent en entrée ou en entremets, alors que la salade, un savant assortiment de plusieurs végétaux, stimule l’appétit en début de repas ou, plus souvent, réveille les papilles des convives par de subtiles touches d’amertume et d’acidité en accompagnant le rôt (le service de la viande rôtie). Il n’est alors pas innocent que le nouveau mobilier de cuisine proposant à hauteur d’appui différents feux de cuisson ait été appelé un potager. En revanche, les légumes de garde demeurent entachés d’une réputation de grossièreté, de pauvreté et de débilité, et d’une association dévalorisante avec la pénitence alimentaire du carême.

Alors que naît le végétarisme moderne au mitan du XIXe siècle, le discours médical et hygiéniste contemporain valorise les légumes et les légumineuses, sources de protéines végétales, puis, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, théorise et présente comme une panacée un régime crétois à prédominance végétale qui serait le régime originel de la société occidentale. Mais l’enrichissement de l’Occident a pour conséquence alimentaire une augmentation de la consommation de viande, non des légumes, et encore moins des légumineuses.

Il faut attendre le tournant du XXIe siècle avec l’essor des préoccupations environnementales prônant la saisonnalité, le locavorisme et au moins le flexitarisme, pour apprécier une revalorisation culturelle de l’alimentation végétale par rapport à la viande, à nuancer néanmoins en fonction du milieu social des consommateurs.

Madeleine Ferrières

Professeur d’Histoire moderne à l’université d’Avignon (ER)
Chercheur rattachée à l’UMR TELEMME – MMSH Aix-en-Provence

Après avoir orienté ses travaux dans deux directions, l’histoire rurale et l’histoire de la culture matérielle, Madeleine Ferrières s’est appuyée sur ces deux compétences pour relire l’histoire de l’alimentation, en enquêtant sur les filières du passé, depuis le champ jusqu’à l’assiette. Elle a publié en 2002 Une Histoire des peurs alimentaires. Du Moyen Âge à l’aube du XX e siècle (édition italienne, 2004 ; édition anglaise, 2006 ; édition de poche, Points-Seuil, 2006 et réédition 2015) ; et en 2007, Nourritures canailles (édition de poche, 2010).

Les marchés du Moyen Âge

Pour mieux définir les contours de ce marché, quelques précisions préalables sont nécessaires : le « marché » était pensé non comme une abstraction économique, mais comme un lieu physique déterminé où s’échangeaient les marchandises. On est dans une économie du marché ou des marchés.

Les légumes étaient pour ces contemporains de Philippe le Bel, de Louis XIV ou de Napoléon Premier, les légumineuses. Une fois séchés, « de garde », ils empruntaient les mêmes circuits que le blé et les grains. Ce n’est pas le cas de ce que nous appelons les « légumes » : la verdure, les herbes, qui étaient pour eux les plantes « potagères ».
Le sel, les blés, la viande, tous les grains font partie des subsistances. Tel n’est pas le cas des fruits et des légumes, qui sont des comestibles. Toutes les politiques publiques au Moyen Âge visent à assurer et à contrôler l’approvisionnement en subsistances, c’est-à dire en produits de première nécessité. Le commerce des comestibles est libre.

Cette absence d’organisation administrative explique en grande partie la relative invisibilité du marché des légumes. L’historien peut saisir les légumes à la production, grâce à des documents de la pratique, comme les baux de jardinage ou les proto-catalogues de pépiniéristes. Il peut savoir la manière dont ils sont consommés, grâce à la vaste production imprimée de livres culinaires. Mais entre les deux, l’acheminement, l’achat et la revente des légumes sont dans une zone grise, faute de textes normatifs.

En se référant surtout à l’exemple parisien, qui est le moins mal documenté, on s’interrogera sur les circuits de ce commerce. Sur ses acteurs principaux : les regrattiers du Moyen Âge, les marchandes publiques des temps modernes. Sur les techniques de vente.

Le marché dont nous décrirons les caractéristiques se met en place dès le XIIIe siècle, quand partout s’organise la vie urbaine. Avec quelques retouches, qui tiennent à l’évolution des métiers, ou bien à la migration géographique des marais parisiens, ce dispositif reste en place pendant tout un long Moyen Âge, qu’on peut prolonger jusqu’au Second Empire : entre 1850 et 1870 la construction des Halles Baltard, l’entrée de Français – et des Parisiens d’abord – en transition alimentaire, la première diffusion des conserves appertisées et, surtout, la révolution des transports contribueront à façonner un nouveau marché pour les fruits et légumes.

Date / Heure
16.11
14 h 30 - 17 h 00

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